Dans le renouvellement et le dépassement des débats sur les conceptions de l’agroécologie et sur la nature des transitions à favoriser, l’exemple des Hautes Terres malgaches apporte un éclairage sur l’importance du point de départ des agricultures pour penser les évolutions. La trajectoire des agricultures traditionnelles, majoritaires à Madagascar, mais aussi en Afrique subsaharienne, est celle de l’intensification agro-écologique. C’est aussi, finalement, la poursuite de cette intensification agroécologique, différente de l’agro-écologie des pratiques ou de l’agro-écologie intégrale qui sont pensées en réaction à l’intensification conventionnelle, qui apparaît la plus adaptée aux ressources et à la vulnérabilité de ces exploitations. Pour que cette intensification agro-écologique se concrétise, il est nécessaire de prendre en compte les contextes démographiques et économiques, les dotations en facteurs de production, la disponibilité et l’accessibilité aux ressources naturelles. Il faut partir des pratiques et savoir-faire existants, qui peuvent être pour la plupart des cas en Afrique subsaharienne considérés comme agro-écologiques. Mais ces savoirs et pratiques se combinent en des systèmes d’activités à la fois complexes et plus « sophistiqués » que les «paquets d’innovations technologiques » proposés par la recherche agronomique. Il faut aussi évaluer et comprendre les marges de manœuvre effectives des systèmes concernés, pour éviter de promouvoir des réponses techniquement souhaitables et cohérentes dans une perspective sectorielle ou de spécialisation agricole, mais simplement inapplicables ou inaccessibles. Par ailleurs, au vu de la diversité des situations, une approche s’adaptant aux diversités territoriales est nécessaire. Une « intensification par la diversification» impose mais en même temps valorise la mobilisation des différents acteurs et le renforcement des capacités d’innovation pour gérer une plus grande complexité. Elle déplace la réflexion agro-écologique de la parcelle ou de l’exploitation vers les systèmes alimentaires et les territoires dans lesquels évoluent les agriculteurs. Pour accompagner ces dynamiques, il convient donc de renouveler les politiques agricoles et alimentaires à l’échelle des territoires en identifiant puis en valorisant les ressources spécifiques de ces derniers. Au regard de l’intensification agro-écologique, il s’agit de définir des stratégies agricoles et alimentaires qui s’appuient sur ces ressources territoriales. Cela concerne bien sûr les stratégies de marché, avec notamment l’identification et la valorisation de marques de qualité, mais le raisonnement peut être étendu aussi à la gestion des systèmes alimentaires adaptée aux réalités 2018-08-Transition agro-écologique_160x240.indd 200 29/10/2018 16:57 Les moteurs du développement de l’agro-écologie en Afrique subsaharienne 201 locales : répartition de la valeur, meilleure articulation de l’industrie agroalimentaire avec l’organisation locale des marchés, redistribution permettant l’investissement en biens publics, mise en cohérence avec les opportunités et pratiques de diversification agricole et extra-agricole, etc. L’exemple des Hautes Terres malgaches montre enfin que les solutions techniques seules ne seront pas des leviers suffisants pour améliorer significativement et durablement les conditions de vie et la qualité des systèmes agro-alimentaires. Les blocages sont tels que l’on peut difficilement imaginer d’évolution positive sans une action publique massive et coordonnée, à l’échelle des exploitations mais aussi des filières et des territoires9. Il importe de produire des connaissances pour évaluer les différentes options — agro-écologie des pratiques, agro-écologie intégrale ou intensification agro-écologique. Il importe surtout selon nous de définir les stratégies susceptibles de lever les contraintes, et d’estimer les moyens à mettre en œuvre pour concrétiser les opportunités offertes par l’intensification agro-écologique, option que nous jugeons aujourd’hui la plus crédible dans le Vakinankaratra, mais aussi pour la majorité des agricultures familiales de l’Afrique subsaharienne. Plus largement, et quelle que soit l’option choisie, il est aussi nécessaire de mieux documenter les performances économiques et sociales de ces différentes formes d’agro-écologie au niveau des systèmes d’activités des exploitations agricoles familiales comme à celui des systèmes alimentaires. Il semble que c’est en effet dans un changement radical des rapports de force prévalant à la construction des prix, y compris en permettant de rémunérer les services aujourd’hui non marchands de l’agriculture et de ses filières (dits services écosystémiques), que les systèmes agricoles et les systèmes alimentaires pourront, dans ces conditions défavorables, entamer une intensification agro-écologique dans les situations aujourd’hui bloquées en Afrique subsaharienne.