l'Histoire agronomique qui est présentée dans ce document, raconte la construction d'une révolution technologique à la portée aussi bien des grandes agricultures modernes mécanisées, engagées dans la mondialisation, que des petites agricultures familiales, même les plus deshéritées. C'est l'histoire des techniques de Semis Direct, ou comment passer des systèmes destructeurs de la ressource sol, hérités du transfert Nord-Sud de technologies, solidement ancrées dans les pratiques traditionnelles, à des systèmes de gestion durable qui permettent de préserver totalement l'environnement et d'améliorer la capacité de production du patrimoine sol, à court, moyen et long termes, avec beaucoup moins de travail à l'hectare, une grande simplification des travaux agricoles, tout en ayant une flexibilité accrue dans leur exécution et une bien moindre pénibilité.Cette histoire agronomique est d'abord celle d'une méthodologie d'intervention de la Recherche, qui agit pour et avec les agriculteurs, dans leur milieu. Elle offre aux agriculteurs un très large choix de technologies et scénarios réels de développement, une vision, comparative au cours du temps, de leurs possibilités réelles agronomiques et technico-économiques, face aux systèmes traditionnels en vigueur. Elle permet aussi dans le même temps aux agronomes et aux chercheurs de toutes les disciplines de produire des connaissances scientifiques pour expliquer, prévoir le fonctionnement des écosystèmes cultivés, évaluer de manière anticipée par rapport à leur adoption par les agriculteurs les impacts sur l'environnement (érosion, qualité biologique des sols).C'est donc une démarche conceptuelle globale de Recherche-Action qui permet de mettre en regard : performances de production des systèmes, leurs modes de fonctionnement et impacts environnementaux, leurs limites d'application et possibilités d'extrapolation, dans une démarche préventive qui élabore des solutions réelles avec les agriculteurs, offre des choix stratégiques aux décideurs pour concilier les exigences de la société civile (impacts environnementaux, qualité et traçabilité des produits), des scientifiques (limitation de l'effet de serre, pollution des nappes et des cours d'eau, protection des infrastructures, ...) et les objectifs des agriculteurs et de l'agriculture durable en général.La démarche utilisée a comme priorité principale de construire, d'abord dans la pratique, mais aussi dans la théorie, les bases d'une véritable révolution agricole bâtie sur le nouveau paradigme du Semis Direct sur couverture végétale permanente des sols. Lorsqu'elle est appliquée à des éco et agrosystèmes très différenciés de la planète, elle peut permettre d'identifier les lois essentielles de très large applicabilité du fonctionnement des systèmes de culture, pour promouvoir leur adaptation à très grande échelle. La démarche montre également que, à l'amont de toute recherche thématique qui doit alimenter le progrès constant des systèmes de culture durables, il est impératif de bâtir d'abord une modélisation raisonnée in situ des systèmes de culture et d'en assurer ensuite la maîtrise pratique, rigoureuse dans leur conduite (la science doit être en connexion directe avec les réalités et possibilités agricoles d'aujourd'hui et de demain).A partir de cette démarche d'intervention, les signatures analysent les performances comparées des systèmes de culture pratiqués avec travail du sol et en Semis Direct, dans diverses grandes éco-régions du monde tropical. Les résultats obtenus attirent un certain nombre de conclusions de portée très générale : Si la destruction de la matière organique (M.O.) des sols soumis à des modes de gestion inadaptés, peut être très rapide, sa reconstruction peut aller aussi vite en semis direct, en pratiquant les systèmes de culture construits à cet effet Le pouvoir de séquestration du carbone dépend d'abord de la nature des systèmes de culture créés dans chaque région, les plus performants à cet égard sont ceux qui produisent un maximum de matière sèche de résidus aussi bien à la surface du sol que dans le profil cultural, tout au long de la saison pluvieuse, mais aussi en saison sèche, au moment où les conditions de minéralisation de la M.O. sont ralenties. Le choix des plantes de couverture est aussi déterminant : les plus efficaces sont celles qui sont les plus puissantes, qui sont capables d'assurer le mieux les fonctions à la fois de protection de surface, de restructuration du profil, de recyclage profond des nutriments qui exige l'utilisation de l'eau profonde du sol, accroissant ainsi la capacité de production des systèmes en matière sèche, même en saison sèche, à l'image de l'écosystème forestier Dans les meilleurs systèmes en Semis Direct (SD), les niveaux de M.O. peuvent ainsi rapidement rejoindre, voire dépasser ceux des écosystèmes naturels, même en partant de conditions très dégradés au départ l'évolution des performances de la production agricole, qui intéresse en premier lieu les agriculteurs, accompagne celle de la M.O. = les systèmes de culture les plus productifs, les plus stables, les plus attractifs économiquement et de moindre risque, sont aussi ceux qui séquestrent le plus de carbone. Dans ces systèmes, la part de la fertilité gratuite construite en Semis Direct par voies physique et organo-biologique prend de plus en plus d'importance au cours du temps dans la capacité de production du sol : la productivité augmente avec moins d'engrais minéral, le potentiel du sol s'accroît Si tous les exemples présentés sont démonstratifs à cet égard, celui des sols ferrallitiques de la ZTH, qui sont vides chimiquement, révèlent aujourd'hui des capacités de production durables, nulle part ailleurs égalées, en présence de fumure minérale très faible: sur la même année agricole, il est ainsi possible de produire (et de reproduire) 6 à 7 t/ha de riz pluvial (qualité supérieure de grain) ou 4 à 5 t/ha de soja, puis en succession 3 à 5 t/ha de céréales "pompes biologiques", associées à des espèces fourragères qui formeront un pâturage durant la saison sèche, pouvant supporter 1,5 à 2 têtes de bétail à l'hectare sur 3 mois, les résultats de ces 3 cultures annuelles successives qui couvrent les 12 mois de l'année, sont obtenus en semis direct, et consomment au total de 50N a 115N.ha-1.an-1, suivant que la culture en tête de succession est respectivement du soja ou du riz, 100 à 110 P2O5.ha-1.an-1, 100 à 130 K2O.ha-1.an-1 Il est également possible de produire entre 3.000 et 4.600 kg/ha de coton en Semis Direct sur puissantes biomasses de couverture, en rotation avec les successions précédentes Les meilleurs systèmes en Semis Direct produisent entre 26 et 32 t de résidus de matière sèche par hectare et par an , les systèmes les plus faciles à pratiquer (souvent les moins performants) ont conquis plus de 6 millions d'hectares en moins de 10 ans dans les cerrados du Centre-Ouest Brésilien Enfin, la ZTH apparait comme un simulateur d'élection pour l'étude de la dynamique du carbone : elle est le lieu où la minéralisation de la M.O. est la plus active et intense, et où les cycles de destruction-accumulation de l'humus sous l'action anthropique peuvent être le plus rapidement perceptibles, analysables, et par l. même permettent de raccourcir l'espace-temps pour l'évaluation de la dynamique du carbone Il est évident que l'histoire de cette révolution en marche est une œuvre collective pour laquelle diverses institutions se sont cooptées, ont uni leurs efforts, mettant ainsi en évidence la nécessité impérieuse, ressentie par tous, face à la dégradation désastreuse des systèmes cultivés, de gérer les sols tropicaux autrement Que soient chaleureusement remerciées les institutions qui ont contribué à construire ces nouveaux modes de gestion des sols, préservateurs de l'environnement : l'EMBRAPA (CNPAF) au départ, la Fondation ABC du Paranà, les agriculteurs M. Matsubara, W. et J. Taffarel, les coopératives COOPERLUCAS, COOASOL et COMICEL du Mato Grosso, et plus récemment l'APDC, POTAFOS, et les partenaires direct du Cirad : les agriculteurs P. Machado, J. N. Lazarini, le groupe MAEDA et l'entreprise AGRONORTE PESQUISA.Un tel partenariat exemplaire montre comment diverses institutions, en unissant leurs efforts, peuvent, en peu de temps et avec des moyens souvent modestes, amorcer la construction d'une véritable révolution agricole, difficilement imaginable dans le seul cadre de la recherche traditionnelle. C'est une chance unique à saisir pour la recherche, si ses objectifs sont bien de contribuer à l'amélioration rapide, et avec tous les acteurs, de la gestion durable des ressources naturelles, dont son bien le plus précieux : le patrimoine sol.